Sortie théâtre
Confessions d’une grosse patate, Susie Morgenstern
J’avais la boule au ventre au moment de
partir. Me dire que j’allais rencontrer un écrivain, un vrai, celle qui m’avait
le plus fait pleurer en un minimum de lignes, c’était déjà une décharge
d’endorphine droit dans mon sang. A la fois impatiente et anxieuse, je savais
que cette performance théâtrale pourrait me chambouler comme l’avait fait le
livre, et encore, je n’imaginais pas ce qui pouvait ce passer.
Enfin tous installés dans le petit
studio télé de l’IUT, cette proximité m’intimida. Susie était déjà là (je
l’appelle Susie, parce qu’après avoir lu ses livres, on ne peut plus faire
autrement), se concentrant avec son metteur en scène. Elle se présentait à nous
comme une amie. Pas une star, non, quelqu’un aussi humain, aussi maladroit,
aussi angoissé que moi. En boucle, une
chanson qui nous incitait à être « happy », au bout d’un moment un
peu lassant, mais cela permettait quelques plaisanteries. Je rassurai mes
voisines : « ça vous plaira, elle parle de bouffe dans son livre, et
avec beaucoup d’humour ! » Pour moi c’est ce qui caractérisait le
mieux son œuvre : l’humour. Le personnage qu’elle était respirait la bonne
humeur, et les accessoires, déjà visibles, venaient confirmer mon
hypothèse : un énorme œuf en chocolat, un gâteaux qui criait « mange
moi ! »…
La musique s’atténua laissant place à un brouhaha de
« chuut ! ». Puis la pièce commença. Les instants qui suivirent
furent pour moi des bribes de ma vie. Je m’étais sentie si seule face à la
nourriture, toute ma vie, mais à voir les réactions de l’audience, c’est comme
si tous étaient moi, tous étaient Susie. Cette petite fille mal dans sa peau et
si bien dans la nourriture. Ce livre, c’est comme si je l’avais écris, cette
pièce, c’est comme si je l’avais jouée. Ce que je vais dire est peut être un
peu personnel, mais c’est ce que je ressens. On a fait des tonnes de livres,
d’émissions télé, de films, d’articles sur toutes ces maladies qui avaient
attrait de prés ou de loin à la bouffe. Car c’est bien de bouffe qu’il s’agit,
lorsqu’elle devient obsession et qu’elle n’est plus vitale mais quasi
meurtrière. L’anorexie, la boulimie, le surpoids, l’obésité, j’en ai vu défilé
des mots scientifiques pour expliquer ce qui faisait que je n’étais pas comme
les autres : excès de triglycérides est mon préféré. On m’a parlé de tout,
mais jamais de moi, de mes sentiments, de ce que j’avais envie, réellement. On
me dictait les lois de la société et on me faisait culpabiliser « tu es la
seule à être comme ça, c’est donc que c’est anormal ! » voilà ce que
j’entendais dans les yeux des autres. Et puis il y a eu Susie. Une grosse
patate, tout comme moi. Une grosse patate qui s’affirmait face aux maîtres
pensants que peuvent être les parents, les médecins, … Une grosse patate qui
osait dire que non, manger n’est pas seulement un plaisir, il peut être une
drogue, une obsession, jusqu’à perdre toute valeur ; que non, ce n’est pas
parce qu’on est toujours en train de rire qu’on est heureux dans notre
enveloppe et surtout, qu’il ne suffit pas d’être volontaire pour maigrir. C’est
bien plus compliqué, bien plus profond. C’est pour ça que lorsque tout le monde
riait du ridicule des situations que Susie racontait, moi je pleurais.
Et puis il y avait les poèmes, si drôles,
si pathétiques :
Ah ! Qu’il m’insupporte celui-là
A m’observer sur ce ton là
Il croit que je ne vois pas cet air niais
Juste au milieu des bourrelets
Ce bide flasque et tout zébré
Il me sort par les trous de nez
Qu’est ce que t’as toi à gigoter ?
Cesse donc un peu de t’agiter !
Décision prise, ça va faire mal,
Je vais sculpter ma sangle
abdominale !
Quand on nous offrit de converser avec
l’écrivain, je ne pouvais rien dire. J’étais elle, que pouvais-je lui demander
que je ne sache déjà ? Ou alors je n’osais pas. Oui, je n’osais pas !
Puis elle nous proposa des discussions plus personnelles, et je lui ai dit. Je
ne sais pas si elle réalisait l’impact qu’elle avait eu sur ma vie, mais une
chose est sûre, je suis heureuse que chacun ait pu approcher de si prés ce que
j’avais vécu depuis la première fois qu’on m’avait dit à la maternelle :
« T’es une grosse patate ! »
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