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Le Festin
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21 décembre 2015

Pain de vieillesse se pétrit pendant la jeunesse

Devenir adulte

Voilà un sujet qui me travaille particulièrement ces derniers temps. Peut-être parce que je viens d’avoir 27 ans, un âge où l’on est censé être adulte. Peut-être parce que j’ai toujours été trop adulte au fond de moi. Peut-être aussi parce que je ne suis qu’une petite fille qui refuse de grandir.

Il y a eu plusieurs moments dans ma vie où je me suis sentie plus adulte que jamais, mais chacun de ces instants ont été effacés par d’autres en remplacement.

La première fois que j’ai été chercher du pain à la boulangerie. Maman m’avait donnée une pièce de 10 francs et autorisée à acheter ce que je voulais avec la monnaie. Je devais avoir une dizaine d’année, l’idée de parler à la parfaite inconnue qu’était la vendeuse m’avait sans doute terrifiée mais je m’apprêtais à agir « comme une grande ». Puis le pouvoir qui m’était offert, celui de choisir ce que je voulais pour dépenser la petite somme donnée. J’ai sans doute dû choisir de prendre des bonbons, mais en ressortant avec ma baguette, mon sachet de friandises et mon sourire de fierté, j’avais l’impression d’être une adulte.

La première fois que j’ai eu une discussion d’adulte. Gamine, je n’étais pas vraiment populaire auprès des autres enfants de mon âge. A 11 ans, je ne comprenais pas ces filles qui voulaient un amoureux à tout prix et je répétais souvent « A quoi bon, tu en épousera sans doute un autre dans 15 ans ? ». Je le pensais vraiment et avec le recul, je réalise que ne n’avais pas tort. J’étais de celles qui travaillaient pour avoir de bonnes notes à l’école, je ne voulais pas « faire l’adulte » je voulais « être adulte ». Déjà le goût de l’indépendance et de la liberté nourrissaient mes ambitions. Je me souviens que je ne me sentais à l’aise qu’auprès de ma mère et de ses amies quadragénaires. Parler de politique, de faits de société, d’amour aussi, de relations humaines, voilà ce à quoi je passais mon temps. J’impressionnais, mon sirop de grenadine faisant face aux cafés offert à ces mères de famille qui m’acceptaient comme l’une des leurs. Je n’avais pas de « copines », j’avais des « amies ». Et pourtant, lorsque j’avais du temps libre, je jouais encore avec mes poupées.

L’adolescence est arrivée, avec elle son quota de doutes et de questions existentielles. Quand on a 16 ans, on est insupportable. On pense déjà tout savoir et on se croit suffisamment armé pour faire face au monde. Parce qu’on a lu Nietzsche ou Marguerite Duras on se croit très cultivé et parfaitement supérieur aux autres. On sait mieux que tout le monde comment gérer la vie, on détient la vérité quelle qu’elle soit et on doit évidemment se lancer dans d’interminables débats houleux pour mieux l’imposer aux autres.
Adolescente, j’avais raison, sur tout et pour tout. Même avec ma fragilité et mon insécurité, j’étais bien plus adulte que tous les adultes du monde, en tout cas j’en étais persuadée.  La condescendance de la jeunesse, aujourd’hui je trouve cela beau. Irritant, cela va sans dire, mais beau. C’est parce que les jeunes sont impertinents qu’ils deviennent des hommes et des femmes empreints d’idéaux et décident un jour d’unir leur désir d’aventure et de combat à la sagesse de l’expérience.

Puis j’ai mêlé mon envie d’indépendance et mon refus de grandir. Les responsabilités sont difficiles à accepter et elles se sont jetées dans ma vie au moment où je voulais le plus profiter de mon insouciance. J’ai appris à faire face, à mesurer mes mots et à préparer mon avenir.

S’en sont suivi des milliers d’instants avec le sentiment fier et fort d’être une femme et non plus une petite fille. La première fois que j’ai voyagé seule, la première fois que j’ai conduit une voiture, la première fois que j’ai osé m’opposer à une personne plus âgée, la première fois que j’ai affirmé et défendu mes opinions politiques ou religieuses. J’ai fini par ne plus y penser, pour mieux attraper les instant fugaces de ce qu’on décrivait comme l’âge d’or de mon existence. Vivre au jour le jour sans vraiment imaginer comment sera demain. M’enivrer avec les copains et me heurter aux conséquences des causes que je chérissais. 

 

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Pour le plaisir des yeux, John William Waterhouse, peintre préraphaëlite

J’ai cru devenir adulte au moment où je décidais de faire une croix sur mes rêves de grandeur pour les remplacer par la simplicité d’une vie anonyme et ordinaire. J’ai cru devenir adulte lorsque je devenais le témoin de ma meilleure amie, à charge de la soutenir dans la réussite de sa future vie d’épouse, de mère. J’ai cru devenir adulte alors que je prenais la décision d’en faire autant, de me préparer à fonder un foyer. Et puis le petit être a pointé le bout de son nez.

Je me souviens de la discussion que nous avons eue, Rox et moi, à la maternité. Son enfant nouveau-né dormant au creux des anges dans son berceau, elle m’a alors dit que c’était maintenant qu’elle se sentait vraiment adulte, maintenant qu’elle était chargée d’âme, de corps et de raison. L’enfant ne pourrait pas devenir adulte à son tour si son mari et elle ne jouaient pas leur rôle de socle solidement enraciné. Une idée terrifiante que d’être garant de la vie de quelqu’un, un fardeau aussi lourd qu’il est stimulant.

Elle avait raison, à chaque fois que je regarde mon filleul, je comprends qu’être adulte, ce n’est pas payer des factures ou renoncer aux petits bonheurs. Bien au contraire, être adulte, c’est savoir réfléchir et agir sans penser uniquement à soi, mais aussi aux autres : à ceux qui ne sont plus là et qui nous ont transmis leur expérience, à ceux qui nous côtoient qui sont l’interface omniprésente de la construction de nos êtres et à ceux qui viendront et à qui nous léguerons tout ce que nous sommes.

Etre adulte, tout le monde n’en est pas capable de toute évidence et c’est un chemin interminable qu’il faut paver devant soi pour ne pas s’embourber. Je ne sais pas si c’est parce que je suis adulte que mes aspirations adolescentes sont aujourd’hui changées, si désormais j’ai d’avantage l’envie de cultiver un potager que de devenir une chanteuse à la renommée internationale. Je ne sais pas grand-chose à vrai dire.  

 

à propos du titre: proverbe auvergnat

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